• Kadhafi a-t-il financé Sarkozy ?

    Un livre de Catherine Graciet développe la thèse d’un financement de la campagne de Sarkozy par la Libye.

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    Le 10 décembre 2007, Nicolas Sarkozy recevait à l’Élysée Mouammar Kadhafi. Ce dernier, chassé du pouvoir par la rébellion libyenne, sera tué fin 2011. (Photo é. FEFERBERG/AFP)


    « Sud-Ouest Dimanche ». Au terme de votre enquête, quelle est votre conviction sur un éventuel financement de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy par Mouammar Kadhafi ?

    Catherine Graciet. Beaucoup d’informations vont dans le sens d’un financement occulte. J’ai par exemple recueilli le témoignage de Tahar, un ancien haut responsable des comités révolutionnaires. Il a été présent à deux moments clés de ce financement. Notamment lors de négociations entre Français et Libyens à l’hôtel Corinthia à Tripoli. Il était également à Syrte en décembre 2006 lorsque, dit-il, Kadhafi a donné l’ordre d’acheminer l’argent.


    J’ai pu recouper ces éléments auprès d’une autre filière libyenne qui n’a aucun lien avec le premier témoin. La clé des preuves réside dans une vidéo de la réunion de l’hôtel Corinthia où l’on voit trois Français (dont un homme politique qui a changé de discours fin 2006) en train de discuter de l’acheminement de l’argent. J’ai également pu recouper des informations concernant un vol en décembre 2006 de Syrte au Bourget dans lequel Bachir Saleh, l’argentier du régime, convoyait 30 millions d’euros.

    Avez-vous pu voir cette vidéo ?

    Non. Mais je dispose de témoignages précis et recoupés. Je tiens à rester dans mon rôle, je suis journaliste et non juge d’instruction.

    Les preuves judiciaires ont été détenues un moment par le fils de Kadhafi Seif al-Islam, qui les a confiées à un ami d’enfance avant de prendre la fuite. Je sais maintenant où elles sont. La vidéo a été dupliquée en trois exemplaires. Ils sont restés un certain temps en Libye.

    La France les a-t-elle cherchés ?

    Plusieurs mois après que Seif al-Islam a annoncé à la télévision les détenir, un commando des forces spéciales a tenté de l’éliminer. Je le sais d’une source interne à l’armée française. Le commando a échoué car il a été contrecarré par un second commando, russe. Il est désormais certain que les Russes avaient des troupes au sol aux côtés de Mouammar Kadhafi.

    Ne craignez-vous pas d’être attaquée en diffamation ?

    Depuis la sortie du livre, aucun démenti n’a été produit. Ni par l’armée - et pour cause, l’information vient de chez eux ! -, ni par les proches de Nicolas Sarkozy.

    Dans cette affaire, on parle beaucoup de l’intermédiaire Ziad Takieddine…

    Il existait plusieurs réseaux d’intermédiaires avec l’État français. Les plus connus sont Takieddine et Alexandre Djouhri. J’en ai identifié un troisième, un autre Libanais, Souheil Rached. Chacun était lié à un dignitaire du régime : Takieddine travaillait avec Abdallah Senoussi, l’homme du renseignement militaire, Djouhri avec Bachir Saleh, et Rached avec Moussa Koussa, l’homme des services secrets et l’artisan de la réhabilitation de la Libye sur la scène internationale. Beaucoup plus discret, Rached opérait à un niveau bien supérieur aux deux premiers. En 2006, c’était Moussa Koussa l’homme fort. S’il y a eu financement, en toute logique, c’est de ce côté qu’il faut chercher. Pour ma part, j’ai les noms de deux Libanais qui ont œuvré à ce financement du côté libyen.

    La justice est-elle en mesure de travailler sur les éléments que vous avancez ?

    Oui. En interrogeant ces deux intermédiaires, les juges peuvent faire une grande avancée dans leur enquête. Il faut qu’ils interrogent Tahar. Il souhaite témoigner. Pour cela, il faudrait qu’il obtienne un visa et des garanties sur sa protection. Pendant la guerre, il a été torturé. J’ai vu son dossier médical, il est sans ambiguïté. Il pense que ceux qui l’ont torturé, lui demandant où se trouvaient les enfants de Kadhafi, étaient des Français. Zohra Mansour, une intime de Kadhafi, est également prête à témoigner. Ils vivent cachés et risquent leur vie actuellement. Quant à la vidéo, je sais qu’un extrait a été exfiltré à l’étranger. Peut-être la justice pourra-t-elle un jour le consulter ?

    Pourquoi ces preuves, si elles existent, n’ont-elles pas encore été divulguées ?

    Lorsque Seif al-Islam a parlé pour la première fois de financement occulte à la télévision, il y a eu une violente dispute avec son père. Kadhafi était dans un état second, il s’est rendu compte très tard de ce qui se passait. Il a longtemps cru que Sarkozy n’irait pas jusqu’au bout et qu’il pourrait installer son fils au pouvoir.

    Aujourd’hui, les anciens partisans de Kadhafi - qui sont plus nombreux qu’on ne le croit - vouent une haine tenace à Nicolas Sarkozy. Mais ils ne sont pas dans un agenda franco-français. L’agenda libyen est beaucoup plus complexe. Il y a un projet que des tribus qui ont fait allégeance à Kadhafi dans le passé cautionnent. Il consiste à créer une sorte de gouvernement en exil qui représenterait tous les Libyens, y compris ceux qui, réfugiés à l’étranger, n’ont pas pu voter lors des dernières élections. Ces gens veulent ouvrir un canal de communication entre leur organisation et la France ainsi que l’Europe. Je pense que la vidéo sera in fine divulguée, mais ils vont l’intégrer dans un jeu politique.

    Si l’hypothèse d’un financement politique devait se vérifier, on a du mal à comprendre pourquoi Nicolas Sarkozy est entré en guerre contre Kadhafi…

    J’ai interrogé des gens de son premier cercle. Eux non plus n’arrivent pas à comprendre. Le risque était colossal.

    (1) « Sarkozy-Kadhafi : histoire secrète d’une trahison », éd. Seuil, 253 p., 19,50 €.

    Mediapart enfonce le clou et suit l'argent

    VIDEO - Mediapart donne des éléments sur ce qui a pu être le circuit de l'argent qu'aurait versé le régime de Kadhafi pour la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy

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    Moftah Missouri accrédite l'authenticité du document de projet publié par Mediapart en avril 2012 (Capture d'écran, document France 2)

    Un diplomate de l'entourage de Kadhafi a répété les accusations de financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 par l'ancien régime libyen, dans une interview à "Complément d'Enquête", diffusée sur France 2 jeudi soir. Dans un extrait de la vidéo publiée par Mediapart, Moftah Missouri, conseiller diplomatique et interprète personnel du Guide de la révolution libyenne affirme: "Même Kadhafi m'a dit à moi, verbalement, que la Libye avait versé une vingtaine de millions de dollars". 

    Le 30 avril 2012, entre les deux tours de la présidentielle française, Moftah Missouri avait toutefois livré une autre version au Figaro : "J'ai eu vent des rumeurs concernant une contribution financière du colonel Kadhafi à la campagne du président Sarkozy. J'ai été pendant quinze ans, en ma qualité d'ambassadeur, l'interprète officiel du colonel Kadhafi. Je n'ai jamais eu connaissance d'un accord financier." Une contradiction qu'il assume aujourd'hui dans les colonnes de cette même publication. 


    Des accusations "sans fondement"

    L'ancien président de la République Nicolas Sarkozy a toujours réfuté l'existence d'un financement occulte de sa campagne par le régime Libyen. Son entourage jugeait jeudi "sans aucun fondement" les nouvelles accusations d’un supposé financement libyen de sa campagne de 2007, dans les colonnes de FranceTVInfo.

    Ces proches mettent en doute la crédibilité de ce témoin "qui disait exactement l’inverse il y a un an" au Figaro. Un conseiller de l’ancien président rappelle que Nicolas Sarkozy a déjà déposé plainte en avril 2012 contre Mediapart après la publication par le site d’informations d’un document présenté comme prouvant un financement frauduleux par Mouammar Kadhafi. Une enquête pour "faux et usage de faux" a été ouverte.

    "C'est nous qui avons financé sa campagne et nous en avons la preuve. Nous sommes prêts à tout révéler. Nous avons les détails", avait déjà affirmé Saïf al-Islam, le fils de l'ancien dictateur libyen, dès mars 2011, avant la chute de son père.  Un peu plus d'un an plus tard, l'avocat tunisien de l'ex-Premier ministre libyen al-Baghdadi al-Mahmoudi, emprisonné en Tunisie, avait enfoncé le clou: "Mouammar Kadhafi, son régime et les responsables qui travaillaient avec lui ont financé la campagne électorale de Sarkozy en 2007", avait déclaré Me Bechir Essid,évoquant quelque 50 millions d'euros.

    Lors de l'interview à "Complément d'Enquête", Moftah Missouri accrédite l'authenticité d'un document officiel libyen dévoilé par Mediapart en avril 2012 qui affirme que Tripoli avait accepté de financer pour "50 millions d'euros" la campagne de Nicolas Sarkozy.  "Ça c'est le document de projet, d'appui ou de soutien financier à la campagne présidentielle du président Sarkozy", affirme-t-il avant de conclure: "C'est un vrai document.

    Les juges chargés du dossier sur les accusations de financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 lancées par l'homme d'affaires Ziad Takieddine, n'enquêtent pas sur ce document.  Moussa Koussa, l'ex-chef des services de renseignements extérieurs libyen, et Bachir Saleh, ex-directeur de cabinet de Kadhafi, ont démenti avoir été respectivement l'auteur et le destinataire de la note publiée par Mediapart. 

    En 2012, le président du Conseil national de transition (CNT), au pouvoir en Libye, Mustapha Abdeljalil, avait également estimé que cette lettre était "fausse et fabriquée".  Mediapart a pourtant publié dans la nuit de jeudi à vendredi (article payant) les extraits de mails qui lui ont été adressés par Mohammed Ismail, présenté comme l'ancien directeur de cabinet de Saïf al-Islam Kadhafi, décrivant les circuits présumés du financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.


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