• Après le drame du Mediator, que les élites de la santé se réveillent !

     

    Irène Frachon*

     

    Le drame du Mediator a déclenché au sein du système sanitaire français, et au-delà, une onde de choc d'une intensité et d'une amplitude inédite.

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    ESCHER/JDD/SIPA

    Le drame du Mediator a déclenché au sein du système sanitaire français, et au-delà, une onde de choc d'une intensité et d'une amplitude inédite. Les faits : le deuxième laboratoire pharmaceutique français (Servier) a maintenu sur le marché, pendant plus de dix ans, le Mediator en dissimulant aux prescripteurs et aux consommateurs la présence d'un poison mortel dans sa composition. Par contre, l'Agence française du médicament était informée de la présence ce poison.

    Une instruction pénale est sur le point d'aboutir. Elle permettra à la justice de déterminer les culpabilités, à la suite de multiples mises en examen visant aussi bien des dirigeants du laboratoire que des personnalités politiques ou des responsables de santé publique. Les délits visés sont, outre la tromperie aggravée, l'escroquerie et l'homicide involontaire, des suspicions de prises illégales d'intérêts, notamment par ceux-là mêmes qui exerçaient la mission de «gendarmes» du médicament.

    C'est pourquoi, une fois le drame révélé, de nombreuses dispositions ont été prises pour renforcer la police sanitaire, le contrôle et la transparence des liens d'intérêts des experts missionnés par l'autorité publique, ainsi que la protection des désormais fameux «lanceurs d'alerte». Ces mesures sont plus souvent des demi-mesures, comme peut être qualifié le «Sunshine Act», récemment décrété, qui n'impose aucune transparence sur les contrats souvent juteux liant médecins et industriels et se contente de toiletter modestement l'ancienne loi dite «anti cadeaux».

    Or, les contrats de consultance avec des médecins, souvent universitaires, constituent parfois des compléments de rémunération très significatifs. L'expérience du Mediator a montré combien ces contrats pouvaient affecter la faculté de jugement médical et la lucidité sur la dépendance, même induite par cette prise d'intérêt. Les dérives observées chez des professeurs réputés - à la rigueur tout juste connus - démontrent la puissance envoûtante de la consultance occulte, puisque personne, pas même l'ordre des médecins qui en est réglementairement informé, n'est en droit de les rendre publiques.

    Il n'est pas admissible que des médecins employés et payés par la santé publique puissent être ainsi livrés sans garde-fou aux sortilèges financiers d'une industrie qui ne devrait pas pouvoir rétribuer les arbitres potentiels de ses travaux. Or, bien que de portée limitée, les nouvelles règles de transparence sont volontiers jugées stigmatisantes par les médecins et experts, car leur véritable objectif, qui appelle à un bouleversement des comportements, reste largement incompris.

    Il faut reconnaître qu'au-delà des insuffisances et erreurs individuelles ou collectives du monde médical une telle affaire nous rappelle la pression d'un système fou d'évaluation de la recherche médicale. Un système qui incite tous les hospitalo-universitaires et chercheurs, et plus largement les hôpitaux, à trouver des financements industriels, qui les évalue en partie en fonction de cela et, finalement, impose que la norme soit la relation avec l'industrie. C'est ainsi que le poids de l'industrie pharmaceutique dans l'orientation de la recherche clinique induit un véritable biais dans le choix des axes de développement en thérapeutique. Les chercheurs ayant osé critiquer ce système se voient répondre qu'il convient d'améliorer la compétitivité de la France dans ce domaine.

    Si nous voulons œuvrer utilement, l'important est ailleurs, hors du périmètre de la justice entachée de lourdeurs comme de celui des laborieux ajustements réglementaires et législatifs.

    L'élite française de la santé publique, hauts responsables, politiques, experts, professeurs de médecine, médecins prescripteurs, formés et rémunérés par l'argent public, mais ne rechignant pas à émarger auprès des firmes qui les y encouragent - parce que «je le vaux bien», parce que «tout le monde le fait ou le faisait», dirait Cahuzac, et puisque «je garde mon esprit critique» -, se sont réveillés après l'électrochoc du Mediator avec une sacrée gueule de bois. Certains peinent encore à réaliser comment les petites ou grandes négligences, les petites ou grandes compromissions, ont pu creuser la tombe de milliers de personnes. Une tombe qui a l'obscénité d'un charnier.

    Ayant perdu cartes et boussoles, tout ce petit monde s'est agité en tous sens, avec un seul mot d'ordre à la bouche : «Il faut un après-Mediator.» Idem pour l'industrie des produits de santé, mais plutôt sur l'air du refrain des «menaces sur l'emploi, sur l'innovation thérapeutique, sur l'excellence de l'industrie pharmaceutique française»...

    Un «après-Mediator» ? C'est-à-dire une meilleure sécurité sanitaire, mieux surveillée. Très vite, les plus sceptiques ou peut-être les plus lucides ont pronostiqué que rien ne changerait dans le fond et que la situation ne ferait qu'empirer. Puis certains de ces désabusés ont commencé à reconnaître que la secousse des consciences face à la faillite des élites, révélée par l'affaire du Mediator, était puissante, inattendue.

    Médecins, experts, énarques hauts fonctionnaires de la santé publique, ministres... Vous ne valez rien par vous-mêmes ! Vous valez ce que la société a investi dans vos études, dans votre parcours - souvent prédestiné par votre appartenance à une classe sociale favorisée -, pour que vous assumiez la fonction exigeante de l'élite, des «clercs», consacrée à la défense de l'intérêt général sans y mêler intérêts personnels ou privés.

    Le citoyen de la «France d'en bas», celui qui paye les pots cassés et crève du Mediator, celui dont j'entends, au fil des courriers, la plainte désolée mais étonnamment lucide, sait bien ce que serait un «après-Mediator» porteur d'espoir d'une meilleure vie. Cela tient dans une injonction à ceux qui décident, par exemple, des médicaments financés par l'argent public : servir avant de se servir ! Se convertir au bien public, à l'intérêt général !

    Il faut pour cela donner toute sa place à la formation, à l'apprentissage en matière d'éducation civique, de déontologie, d'identification des conflits d'intérêts, redoutables facteurs de risques sanitaires. Dès l'école, pourquoi pas, mais y revenir encore et encore dans les facultés, et pas que de médecine ! Rappelons-nous le beau serment des médecins : «Je préserverai l'indépendance nécessaire à l'exercice de ma mission.»

    Il en va de la santé de nos concitoyens, de leur confiance dans notre société, de la préservation du lien social, du salut de la respublica.


    * Pneumologue au CHU de Brest,

    auteur du livre censuré Mediator. 150 mg. Combien de morts ? (dialogues).


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